À ceux qui savent regarder, notre église raconte une très longue histoire, depuis des temps immémoriaux qui se confondent avec la christianisation de l’île. Selon Geneviève Moracchini-Mazel dans son ouvrage de référence, Les églises romanes de Corse, la piévanie existe au paléochrétien.
Au XII e siècle, dans un espace de convergence, au centre de la péninsule du Cap Corse, San Petru di Luri est l’une des églises piévanes primitives de l’ancien diocèse de Mariana. Six cents ans plus tard, en 1751, à la demande de la communauté, elle sera érigée en collégiale par le pape Benoît XIV.
Après des périodes obscures, c’est une source écrite qui marque l’entrée « bluffante » de notre village sur le devant de la scène historique, avec ses hommes sages, son église, son « piévan » et ses seigneurs. Un vieux parchemin, conservé dans le fonds documentaire du monastère de l’îlot de la Gorgone, met en pleine lumière, dans un paysage familier, une organisation sociale et religieuse complexe déjà parachevée à l’époque pisane.
En bref, on apprend qu’en 1176, un vieux litige continue d’opposer Dom Guido, abbé bénédictin de la Gorgone, à Johannes, « piévan » de Luri. Par ses lettres apostoliques, le pape Alexandre III leur enjoint de trouver la voie d’un accord… Au bas du parchemin, parmi les témoins et nobles signataires, protecteurs et conseillers avisés de notre piévan, figurent les seigneurs des fortifications d’Oveglia et des Motti.
Un cadre ecclésial assuré est donc en place au XIIe siècle, et pour longtemps. Au terme de quels lents efforts depuis le paléochrétien, poursuivis durant les hautes époques carolingiennes et les tribulations du temps des Sarrasins ? C’est là une genèse qui nous échappe totalement. L’archéologie reste le seul recours.
Notons que ce lieu a une fonction funéraire avant la christianisation : c’est là qu’aurait été trouvé, lors des travaux d’agrandissement de l’église dans les années 1874-1878, le bas-relief romain qui a rejoint le musée d’ethnographie de Bastia. En fait une stèle dont on surmontait les tombes familiales, typique par son style du siècle des Antonins (deuxième moitié du IIe siècle après J.C).
Que subsiste-t-il dans le vaste édifice actuel de l’église primitive, celle où officiait le « piévan » Johannes ? Des aménagements avaient-ils déjà altéré le parti pris roman originel de l’église lorsque Mgr Agostino Giustiniani, évêque du Nebbio, en fait mention dans sa célèbre Description de la Corse qui date des années 1520-1530 ? « Luri villa e valle molto bene habitate. E ha pieve ». Car on doit tenir compte de l’orientation symbolique des anciennes églises romanes dont l’abside donne sur le soleil levant.
Lorsque fut gravée l’inscription du clocher : 1° AGOSTO ANNO DOMINI 1598 (façade ouest), on doit faire un effort d’imagination pour se le représenter, isolé, sur la ligne de l’ancienne abside dès lors que l’église conserve encore son orientation « ad orientem ».
Il faut attendre 1658 pour que, conformément aux directives du Concile de Trente, la communauté décide de déplacer le maître-autel et de construire une nouvelle abside pentagonale à l’ouest. Volontairement très haut, sur le chevet de cette nouvelle abside, une inscription signe la fin des travaux : 1 MAGGIO 1661.
Et encore au XIXe siècle, d’importantes modifications dans l’architecture vont conférer à l’ensemble un équilibre parfait et la beauté définitive de ses trois nefs de cinq travées (une reprise consciente du plan basilical) qui lui vaut d’être inscrit dans sa totalité, avec son clocher, sur l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
À l’intérieur de l’église, n’ont cessé de s’ajouter, depuis le XVIe siècle, les témoignages souvent éclatants d’un art qui évolue. Le mobilier décline, avec tous ses fastes, le répertoire typique du grand baroque italien : somptueux maître-autel en marbre polychrome consacré en 1736, balustrade du chœur et chapelles latérales.
Un univers de signes et d’images s’offre au regard pour une visite guidée à travers des œuvres d’écoles et d’inspiration différentes, certaines tout à fait remarquables : retable de St-Pierre en majesté et scène du Quo Vadis, Annonciation à l’encrier, Vierge à l’enfant d’inspiration Renaissance ; plusieurs huiles sur toile des XVIIe et XVIIIe siècles, mieux connues aujourd’hui, parmi lesquelles un Rosaire d’un extrême raffinement.
Il fallait à ces murs une voix. On fit appel en 1816 aux jeunes frères Crudeli pour construire le fort bel orgue, restauré en 1986.
Le voyage au cœur de l’église garde un goût d’inachevé mais on voudrait encore insister sur tout ce que l’expérience, la culture et l’histoire apportent à une vision incertaine.
Marie-Lucie CERVONI
Coauteur du livre LURI – Chemins d’une histoire, Editions Alain PIAZZOLA – 1996
Les éléments contenus dans cet article sont plus longuement développés dans ce travail de recherche en micro-histoire.